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Commémor a ti ons






                                             Devoir de mémoire




                                       Cette scène me hante,                     court, pendant que les balles éclatent
                                   « et je la revis souvent. »
                               Mairie de Cadenet                                 autour de lui. Touché au bras droit, il se
                                                                                 diagnostique une fracture de l’humé-
                                             soutenant qu’il est le plus âgé. Il est   rus. Les mitrailleurs se sont arrêtés de
                                             suivi de Ripery. Deux Allemands et   tirer, pensant qu’il s’écroulerait bien-
                                             Friocourt les conduisent au carrefour   tôt. Il repart, s’approche d’une ferme
          Cette scène, c’est celle du passage aux   où ils tournent à gauche. Une deuxième   qui, à son arrivée, referme ses volets.
          portes de l’ombre, à Cadenet, du doc-  équipe ouvre la porte : c’est au tour de   Les tirs sont moins précis et il pénètre
          teur Jean Boyer.                   Cœurdacier et de Chareton d’affronter   dans une haie servant de limite à un
                                             leur terrible destin. Ils sont ensuite sui-  canal d’arrosage. Tombé dans la vase,
          Le 13 juillet 1944, le docteur Jean Boyer,   vis par Augustin Gay et Henri Fabre, em-  il ne peut escalader la berge avec un
          agent de liaison, fait un détour par les   menés beaucoup plus loin. Ils ne sont   seul bras. Les tueurs se rapprochent
          Hautes-Alpes pour remettre des docu-  plus que trois. Jean Boyer, plus malin   et il feint d’être mort, allongé dans le
          ments au Maquis. Arrêté à son retour, au   que veinard, propose le plan suivant :   canal. Les bruits des mitraillettes se
          niveau de Cavaillon, dans le Vaucluse,   partir ensemble et, le moment venu,   rapprochent et le visent : son ventre
          il est amené au Quartier Général local   se séparer de différents côtés. Abel   d’abord, puis une rafale de balles at-
          de l’Unité antiterroriste de la Huitième   Allemand et Lucien Roustan, amis   teint sa paroi abdominale, son ventre,
          Compagnie de la Division Brandebourg   d’école tous deux de Lambesc, « pré-  et sa fesse gauche. Il garde sa tête sous
          à l’hôtel Splendid. Un compagnon de   fèrent tenter le coup ensemble ». Dans   l’eau, bouche ouverte pour essayer de
          cellule, Roger Séguy, raconte dans une   ces derniers instants, Jean Boyer se   respirer. Les assassins s’éloignent, et
          lettre adressée à la tante de Jean Boyer   tourne vers Notre-Dame-de-la-Garde,   Jean Boyer se met debout, caché par
          les coups de fouet reçus pour le pous-  et promet, s’il s’en sort, de monter   la voie ferrée. Le convoi s’ébranle. Il
          ser à dénoncer ses camarades. Torturé   pieds nus à son sanctuaire.    traverse stratégiquement plusieurs
          par des miliciens français, il n’a cessé                               ruisseaux pour que l’on perde sa trace
          de demeurer impassible, loyal. Le 14   Deux miliciens et un Allemand s’ap-  et s’enfuit vers la Durance.
          juillet 1944, il est emmené à Cadenet   prochent, et n’en demandent qu’« un
          avec huit autres résistants pour   seul ». Jean Boyer est emmené au car-  De cette scène qui l’a hanté toute sa vie,
          être fusillé : Chareton, Cœurdacier,   refour auquel ils tournent à droite, sous   de cette fuite qui a duré plusieurs jours,
          Raphaël Michel, Ripery, Augustin Gay,   le pont du chemin de fer, puis immédia-  demeurent des noms, des visages qu’il
          Henri Fabre, Abel Allemand et Lucien   tement à gauche. Jean Boyer s’enfuit,   n’a jamais oubliés. Parmi eux, mon-
          Roustan. Les prisonniers sont entas-                                   sieur et madame Galdy, dont le mari
          sés dans un convoi qui longe le canal                                  a été emprisonné à l’hôtel Splendid,
          de Carpentras. Le convoi s’approche de                                 puis fusillé à Robion, le 20 juillet 1944.
          la gare de Cadenet et ralentit au niveau                               Quant à ses bourreaux, s’ils furent ju-
          d’un croisement où s’élève désormais                                   gés et condamnés après la Libération,
          le monument aux morts. Ce monument                                     lui aura attendu cinquante-six ans pour
          qui porte depuis 2018 une plaque en                                    parler et écrire son histoire. Il sera resté,
          l’honneur du « miraculé » de cette fu-                                 jusqu’à la fin, un ami de Cadenet, ville
          sillade.                                                               qui a tant représenté à ses yeux.

          Dans le convoi, les prisonniers de-                                                           Béryl Boyer
          mandent la raison de leur assassinat,                                                          petite fille du
          si proche de la fin de la guerre. Ils se                                                   docteur Jean Boyer
          voient répondre que « nous voulons en
          descendre le plus possible ». Quelques
          heures plus tard, la porte du car s’ouvre,                           Monsieur le Maire et Béryl Boyer,
          et un Allemand ordonne : « Les deux                                  la petite fille du docteur Jean Boyer,
                                                                             Mairie de Cadenet  du 14 juillet 1944.
          premiers ! » Raphaël Michel s’avance,                                lors de la commémoration




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